Comment l’insulte argumentée s’est installée dans le paysage médiatique congolais ?
En parcourant mon fil d’actualité, je tombe sur une vidéo qui parle de détournement de fonds à la DGRK. C’est ce que laisse entendre deux syndicalistes de cette régie financière provinciale après leur passage dans une émission diffusée sur la chaine CML 13 TV. Alors que l’attention des Congolais est focalisée sur la gouvernance et la gestion des deniers publics, le titre avait de quoi faire jaser.
Surtout qu’en en face, on a un journaliste qui s’appelle Louis France Kuzikesa. L’intéressé qui a déjà fait parler de lui sur le plan éthique, après que ses questions « fermées » adressées à ses invités en fin d’émission ont conduit l’un d’eux à traiter le Président de la République de torchon.
Après le tollé provoqué par l’affaire du torchon, Louis France Kuzikesa reviendra non par pour s’excuser du manque d’égard de son invité, mais plutôt réaffirmer qu’il continuerait à user du même style d’interview consistant à demander à un invité de choisir un qualificatif pour désigner une personne, un mandataire ou un service.
Sous d’autres cieux, des adversaires politiques farouchement opposés n’hésitent pas à s’envoyer des piques en plein débat contradictoire. Lors d'un débat entre Donald Trump et Hillary Clinton, un spectateur a demandé à chaque candidat de citer un élément positif de son adversaire. « Elle est tenace. Elle ne lâche rien, c’est une battante » avait dit Donald Trump. « Les enfants. Il y accorde une grande importance. Je respecte ça » rétorqua à son tour Hillary du milliardaire.
le journaliste spécialisé de la chaine conservatrice Fox News, Chris Wallace, connu pour interroger sans ménagement ses invités, les poussant souvent dans leurs derniers retranchements n'en est pas moins resté une icône de la télévision américaine et qui a su gagner le respect aussi bien des démocrates que des républicains. Le genre à vous fact-checker en direct, même quand vous êtes le Président des Etats-Unis. Sentant que sa chaine laissait libre cours à des invités aux propos extrémistes et souvent non-vérifiées, il a choisi de démissionner.
Mais les dérapages sont loin d'être des cas isolés en RDC. De nombreux autres journalistes ont fait de l’insulte une valeur ajoutée pour donner plus de lisibilité à leurs émissions. Dans la presse congolaise, notamment en ligne, la spectacularisation du récit journalistique dans le but de capter une audience a été le catalyseur d’une hausse de la polarisation des débats notamment en ligne. Une mélodramatisation de la scène publique dans laquelle le journaliste congolais joue une partition pour le moins ambivalente.
Si les états généraux de la Communication et des médias initiés début 2022 ont eu le mérite de reconnaitre les causes du mal profond qui ronge une profession aux 7.634 praticiens ; il n’en reste pas moins que l’absence de régulation a longuement contribué à paupériser le milieu. La course aux vues, synonyme de rémunération pour les créateurs de contenus en ligne, pousse bon nombre d’entre eux à recourir au sensationnel pour inciter au clic et au partage.
Un homme politique tout comme un mandataire public n’a pas de plus grand capital que son image. Celle-ci est très souvent volontairement heurtée par le recours à l’injure qui s’est largement culturalisée dans les feuilletons télévisés (sketchs et théâtres) comme un élément central de la comédie populaire. Le public étant plus hilare avec les comédiens sachant manier l’insulte et le dénigrement sur scène. L’autodérision et l’insulte sont donc les atouts essentiels d’un comédien à succès à Kinshasa. La musique a été le catalyseur de cette culture baptisée « Kretch » dans laquelle celui qui arrive à asséner le plus de pics à son adversaire l’emporte.
Ainsi, que l’on soit d’un camp ou d’un autre, les insultes sont plus ou moins tolérées. Jeanine Mabunda alors Présidente de l’Assemblée nationale ou la Première dame, Denise Nyakeru en ont fait les frais.
Débat présidentiel en RDC ?
Lors du débat de l’entre-deux tours en France en 2017 et en 2022, de nombreux internautes s’extasiaient de voir tant de maitrise et d’éloquence être mis en avant par ceux qui aspiraient à diriger l’Hexagone. Une admiration que nombreux n’ont pas hésité à mettre en parallélisme avec les débats politiques en RDC.
La rhétorique actuelle laisse très peu de place à mon sens à ce genre de joute, car, il risque de laisser sur le carreau, une grande partie du peuple, accoutumé aux dérapages et aux insultes pour juger de la fougue d’un politicien. Mais avant d’en arriver là, la question centrale à se poser est : un débat avec quel genre de journaliste ?
Si vous avez déjà suivi l’émission Profondeur, alors vous êtes sûrement un être à part. Animé par le célèbre Kibambi Shintwa. Ce patron de média et enseignant de journalisme y reçoit assez régulièrement la crème de la crème intellectuelle de ce pays. Bien que tout n’y soit pas que politique, la carrure des invités tout comme du présentateur a forcé mon respect. Hélas, ce n’est pas le genre d’émissions qui affolent les compteurs. On y compte une centaine de vues en moyenne. Mais c’est le style d’émission que j’aimerai voir le plus souvent.