20 jours sans Internet à Kinshasa : entre exil et clandestinité numérique
La RDC a été privée d'internet le dernier jour de l'année 2018. Une pause forcée qui a contraint certains à chercher comment tuer le temps, alors que les « drogués » comme on les appelle au Mali ont du chercher d’autres moyens pour tenir le coup.
C’est donc le 31 décembre 2018 vers 11 heures que le SHUTDOWN à la Congolaise intervient. Dans des groupes WhatsApp déjà, les plus avisés recommandent à ceux qui n’ont pas encore été mis hors réseau de télécharger un VPN, alors que d’autres, devant le silence s’interrogent pour savoir ce qui se passe. Les SMS également sont inopérants. En cause, les fakenews qui circulent quelques heures après la clôture des troisièmes élections pluralistes qu'a connu le pays en 58 ans et qui, alimentent les tensions.
Plan B
Le bruit court que certains endroits en ville sont toujours connectés. Vérification faite, la connexion a été maintenue pour les entreprises, mais coupée aux particuliers. Une catégorie à laquelle on accède à partir de 100$ par mois et au cas par cas. Un média a été par exemple jugé par son fournisseur d’accès, beaucoup trop engagé dans ses articles pour être éligible. Dans d’autres par contre, le réseau est disponible, à l’exception des réseaux sociaux.
Les employés de ces entreprises se mettent donc en mode VPN, pour contourner le blocage et accéder au sésame que sont Facebook et Twitter, ne se connectant ainsi que pendant les heures de service.
Les hôtels et auberge qui prétendaient disposer d’accès WIFI dans les chambres sont subitement envahis. Cependant, interdiction leur est fait de fournir la connexion à leurs clients. L’un d’eux, paiera sa témérité et sera scellé pour avoir transgressé l’interdit.
La recette brazzavilloise
Une fuite révèle que la connexion sera rétablie le 15 janvier, date initiale prévue par la Commission électorale nationale indépendante pour la prestation de serment du nouveau président. Cela devrait être précédé de l’annonce des résultats provisoire le 6.
Le report de la publication provisoire a décalé de facto celui du rétablissement général. Les plus impatients et mieux nantis effectueront la traversée vers Brazzaville. La classe moyenne numérique quant à elle, se rabattra sur l’acquisition de SIM d’Airtel Brazzaville.
Une facture salée. La SIM revient à 15$. 6.000 francs pour 1000 unités (l’équivalent de moins de 300 mégas). Pour 600 mégas valables pour 7 jours, il fallait dépenser 12.000 francs congolais (environ 7 $) et 27.000 francs (environ 17 $) pour 2 Gigas.
L’autre hic à la recette brazzavilloise est la portée du signal. Le réseau est opérationnel uniquement dans certaines communes longeant le fleuve Congo (Gombe résidentiel et administratif) et quelques quartiers riverains de la Commune de Ngaliema.
Des cybercafés bravent également l’interdit et offrent des navigations discrètes à qui peut payer. Au centre-ville de Kinshasa, c’est 2.500 francs (1,50 $) par heure pour une connexion WIFI sur laptop et 1500 francs (0,90 $) par heure pour un téléphone mobile. Le hic avec un VPN est que très souvent, la sécurité des comptes sociaux se verrouille lorsqu’il détecte une connexion effectuée avec un IP d’un pays différent. Beaucoup ont ainsi eu du mal à authentifier qu’il s’agissait bien d’eux.
La suspension des SMS par laquelle viennent la plupart des codes de confirmation ayant compliqué davantage les choses.
Cache-Cache
Commence alors un jeu de cache-cache entre les commerçants vendeurs de SIM et de cartes brazzavilloises, les cybercafés clandestins et les services secrets. Quand je suis allé demander des infos sur la portée d’une SIM brazzavilloise, le vendeur m’a regardé d’une façon……
Il me dira qu’il ne sait rien. Je m’en vais et il envoie quelqu’un derrière moi pour me demander combien je suis prêt à payer. Entre-temps, un ami me dit qu’un collectif de consommateurs vient d’assigner les opérateurs en justice pour les obliger à rétablir la connexion. Ils exigent des dommages et intérêts de 20.000 $ pour chaque abonné.Nous sommes près de 30 millions d’abonnés, soit environ 600 milliards de dollars.
L’un d’eux, Africell, avait même rétabli la connexion le 10 janvier. Deux de mes connaissances se sont vite empressés d’acheter les puces et de recharger du crédit pour activer les forfaits. Hélas, cela n’a duré que quelques heures.
Libération
Le 18 janvier, jour de la proclamation définitive des résultats électoraux par la plus haute Cour du pays, plusieurs clameurs se faisaient entendre dans mon quartier. Certains se réjouissaient de l’arrêt de la Cour, d’autres du rétablissement de la connexion chacun à sa façon (bruits de casseroles, klaxon de moto et coups de feu).
Après avoir parcouru les quelques groupes WhatsApp dans lesquels je suis, j’ai regretté pourquoi ils l'avaient rétabli. La seule bonne nouvelle pour moi : mes giga m’ont été restitués.