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par Trésor Kalonji

Le Renseignement africain : entre ange, binaire et démon

6 Juin 2021 , Rédigé par TDK

Juillet 1993. Dans l'ex Zaïre, un conflit ethnique résultant de tensions politiques déchire la province du Shaba (Katanga). A Likasi, des éléments du 31e régiment parachutiste des Forces armées Zaïroises sont stationnés devant une paroisse catholique lorsqu’en pleine nuit, des miliciens du JUFERI circulent dans le but de commettre des exactions sur des non originaires. A leur tête, un vieil homme porte une marmite d’où jaillit un feu brulant et marche avec derrière lui des fanatiques criant et hurlant des incantations supposées les protéger des balles. Le chef de section, le lieutenant Ilunga, ordonne d’ouvrir le feu sur les miliciens sans qu’aucune balle ne terrasse l’ennemi. Ragaillardis par cette parade surnaturelle, les miliciens continuèrent de danser et de hurler narguant les militaires zaïrois visiblement impuissants.

C’est alors qu’un sous-officier prit son arme, le pointa vers le ciel en disant : Likolo ezali ya Nzambe (le Ciel appartient à Dieu), puis vers le sol : Mabele eza ya l’État (le sol appartient à l’État). Il gratte alors le canon de son arme sur la chaussée puis tire une balle au front du vieil homme à la marmite de feu qui s’écroule instantanément, provoquant la fuite des miliciens.

Ce récit n’est pas unique. Durant les rébellions qui ont secoué le Congo, les miliciens Maï-Maï ont à de nombreuses reprises recouru à des pratiques fétichistes supposer les rendre invulnérables. le Colonel Ikuku Moboto sera remarqué lors de la guerre dite de 80 jours pour ses aptitudes « avancées » à détecter les mines de fabrication cubaine enterrées par l’ennemi sur le théâtre des opérations.

Les deux invasions successives du Shaba en 1977 et 1978, furent à la base d’une réorganisation des services de renseignements, qui aboutit à la création du Conseil National de Sécurité. Cette réforme fut initiée après une autoévaluation qui a constaté des failles au sein de l’appareil sécuritaire.

Le Livre blanc sur la Guerre du Shaba édité par l’Armée zaïroise expliquait hormis les faits d’armes, que plusieurs signes précurseurs laissaient envisager l’imminence d’une invasion et que les services de renseignements avaient péché par manque de professionnalisme. Le président Mobutu, n’appliqua pas les remarques issues de ces évaluations et préféra recourir aux services de marabouts qui récitèrent des incantations le long de la frontière avec l’Angola pour empêcher toute nouvelle invasion, tel que le rapporte Emmanuel Dungia, un ancien agent secret dans son livre Mobutu et l’Argent du Zaïre paru chez l'Harmattan.

Une tradition qui perdure

Les enseignements des guerres successives que connut le pays ne suffirent pas à adapter la doctrine sécuritaire congolaise où le primat du surnaturel continue de tenir le haut du pavé. Une dépendance qui laisse très peu de place aux alternatives qu’offrent d’autres sources qui ont entretemps émergé dans le domaine de la technologie notamment.

Mis à part quelques rares exceptions, la plupart des services africains ne font qu’un usage passif de la technologie et le surnaturel a, à de nombreuses reprises montré ses limites sur de nombreux dossiers. La difficulté de détecter par exemple l’origine des fakenews sur les réseaux sociaux, ayant poussé le gouvernement à priver tout le pays d’Internet à plusieurs reprises ou celle d’identifier ceux créant des faux profils au nom des autorités du pays, ne sont que quelques exemples de la difficile adaptation de la gouvernance sécuritaire à l’ère numérique. 

Il ne faut pas cependant penser que la technologie résout tout. Loin de là. Les services occidentaux, en voulant la privilégier au détriment des renseignements d’origine humaine, ont commis des erreurs fatales sur plusieurs théâtres d’opérations notamment au Moyen-Orient..

Renseignement Humain versus Renseignement technologique

Pour une question spécifique, la multitude de capteurs mis en œuvre peut collecter un flot abondant d’informations brutes. Dans cette immensité, il n’est pas évident d’arriver à séparer le bon du mauvais.  Interviens dès lors, un processus qui sert à évaluer les informations recueillies en croisant les sources (les capteurs ayant servi à obtenir ces données) et l’information elle-même (au niveau de la pertinence) afin de déterminer leur degré de viabilité. Les techniques d’évaluation varient d’un service à un autre. Nous reprenons ici celui en usage dans les services de renseignements militaires français :

Qualité de la Source

Qualification du contenu

Fiable

A

Confirmé

1

Généralement Fiable

B

Probable

2

Assez Fiable

C

Vraisemblable

3

Pas toujours Fiable

D

Douteux

4

Peu sûr

E

Improbable

5

Non évaluable

F

Non évaluable

6

Ce tableau établit la balance entre les différents capteurs ou sources d’informations d’un côté et la confrontation entre les renseignements fournis par cette source avec d’autres (recoupements).

Les sources fiables, si celles-ci sont d’origine humaine, sont classifiées suivant le statut de la source, notamment sa profession. Au-delà de la simple fonction, le critère servant à déterminer la crédibilité d’une source est variable (profil psychologique, probité, facultés intellectuelles, etc.). Mais là aussi, on marche sur le feu. Une information fournie par une source réputée fiable peut s’avérer être inexacte après vérification. Tandis que celle émanant d’une source peu sure, être, après vérification, confirmée par d’autres.

Les précautions quant à la qualification du contenu et celle de la crédibilité de la source obéissent à une prudence qui cherche à éviter de prendre en compte des informations volontairement falsifiées ou erronées.

Il est assez fréquent que des adversaires induisent volontairement en erreurs les sources, pour conduire à des rapports erronés.

Cette action connue sous l’anglicisme deception est plus courante qu’on ne le croirait. Les sources humaines, mais également techniques ou même parapsychologiques sont ainsi très souvent leurrées. C’est ce qui arriva au cours de la deuxième guerre mondiale. Connaissant le penchant d’Adolphe Hitler pour le surnaturel, les services secrets britanniques menèrent une opération de manipulation. Le but : capturer l’un de ses plus fidèles lieutenants, Rudoph Hess, qui ne prenait jamais une décision importante sans avoir consulté les astres. Furieux, Hitler lancera l’opération Aktion Hess pour punir astrologues et devins qui furent traités d’incompétences pour n’avoir pas su anticiper la machination. Hess est celui qui, emprisonné avec Hitler, l’aida à dactylographier son livre idéologique Mein Kampf (Mon combat).

Devant une telle complexité, la fiabilité des informations est le produit de la contradiction systématique des sources entre elles. Ce qui suppose que lesdites sources  doivent être nombreuses et  indépendantes les unes des autres.

À partir de ce modèle, il est ainsi possible de dresser une matrice d’évaluation, s’exprimant en pourcentage de crédibilité et qui, dès lors, fixe le seuil à partir duquel un renseignement peut être soit exploité, soit mis en attente, le temps d’être corroboré par des recoupements ultérieurs ou définitivement déclassé.

 

1

2

3

4

5

6

A

100

90

70

50

25

20

B

90

70

50

30

20

15

C

70

60

50

25

15

10

D

60

50

30

20

10

5

E

50

30

20

15

10

5

F

60

50

20

10

5

5

Une information définie comme A4 est donc fiable à 50%  tandis qu’une information E4, ne représente que 15% de fiabilité. La DGSE (services de renseignements extérieurs français) n’intègrerait une information dans son cycle de traitement que si celle-ci atteignait le seuil de 50%. 

Durant la traque ayant conduit à localiser le refuge d’Oussama Ben Laden, les rapports de la CIA sur la présence avérée de celui-ci dans son refuge variaient de 60 à 70%.

Soumis à une forte pression et ne désirant pas faire courir des risques inutiles à ses troupes en territoire hostile, une dernière évaluation est commandée par le Président Barack Obama auprès d’analystes extérieurs à la CIA. Cette évaluation fixa ce seuil, après réévaluation de toutes les informations disponibles, à 40% de probabilité. Barack Obama reconnut lui-même, dans un documentaire diffusé en Belgique par la RTBF en juin 2012 intitulé, Objectif Ben Laden, qu’il s’agissait, au regard des dernières conclusions, d’un pari risqué.

Je parle de tout ça dans mon livre Cybersécurité et Renseignements en Afrique subsaharienne.

 

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